mardi 10 février 2009

The Dreamer (past)


Ces photos datent un peu, mais les souvenirs qu'elles me laissent restent aussi actuels qu'avant. Le plus simple pour vous raconter ce voyage est, il me semble, de vous montrer quelques morceaux de mon petit carnet, qui me suivait partout. N'étant pas destiné à être lu par tous, il n'a pas la vocation de plaire à qui que ce soit, et présente donc de manière intime mais au moins honnête ce que j'ai ressenti au cours de ce voyage. J'avais envie de changer le monde, l'impression que tout était possible. L'envie reste toujours la même, mais chaque jour j'ai un peu plus l'impression que faire bouger les choses est impossible.

21 décembre

Un ciel voilé, une température inhabituelle, des couleurs propices à la photo. Le paysage qui s'étend sous nos yeux est à la fois étonnant et apeurant. Des voiles de poussière, l'impression d'un monde à l'arrêt. La pauvreté est omniprésente, mais n'enlève rien à la beauté des visages, des regards, que nous croisons, parfois malgré nous. J'ai d'abord hésité à prendre des photos les premières heures, comme si le fait de capturer ces moments consistait à immortaliser la situation. C'est con, je sais, mais bon. Je ne voulais pas immortaliser cette pauvreté, j'aurais souhaité qu'elle ne soit que passagère. Le fait de ne pas prendre de photo me permettait aussi de ne voir que ce que je voulais voir. De ne pas trop regarder autour, de peur de prendre conscience de manière définitive et irrévocable de tout ça. On croit qu'on sait, mais on ne sait pas. On croit qu'on sait que le monde est parfois dur. Mais on ne sait pas. On croit qu'on sait que certains enfants ont réellement une vie tellement différente de la notre. Mais on ne sait pas. Il faut le voir pour le comprendre. Cette prise de conscience tardive mais nécessaire me retourne la tête. Prendre conscience de cette misère permet de prendre conscience de sa chance, mais fait aussi émerger un sentiment de culpabilité: coupable d'être nés la bas plutôt qu'ici, d'avoir ce qu'ils n'auront jamais. Avoir. Un mot qui n'a aucun sens ici, ou si peu. Coupable d'être en bonne santé, d'avoir une famille en bonne santé. Coupable de n'être que le spectateur de ce triste mais sublime spectacle, puis coupable de se sentir coupable, coupable de n'être que soi-même et pas quelqu'un en mesure de changer tout ca.

Les hommes que nous voyons ont des regards immenses, pleins de curiosité. Ils sont accroupis sur la bordure des "routes". Cette position parait résumer leur position dans la vie. Ils avancent comme des équilibristes, entre la vie et la mort. Paradoxalement, leur visages sont eclairés d'un sourire éblouissant, bienveillant. Pas un sourire forcé comme on en fait parfois. Juste un sourire sincère, d'une réalité fracassante, affolante. "Quand leur misère fait monter nos larmes, leur sourire nous redonne des armes".

Je n'ai pas pris trop de photos. J'ai parfois l'impression que le fait de prendre trop de photos nous fait passer à côté du moment présent. On ne vit plus pour l'instant présent, mais pour l'hypothétique bonheur futur que nous procurerons les photos. J'ai l'impression de moins profiter des choses. Même si je ne suis pas encore vraiment content d'être là, je suis certain de revenir grandi de ce voyage.

On se lève à 5h demain pour prendre le "train"...

A plus tard.

22 décembre

La journée a commencé tôt. Il faisait encore nuit. Nous sommes arrivés à la gare à l'heure où le train partait, on a donc du courir pour le prendre (le décalage était de 4h30, et non pas 4h...). Après 2h30 de trajet, nous sommes arrivés à Agra, où j'ai pu apercevoir le Taj Mahal. C'est rassurant de voir quelques touristes. Je me sentais minuscule devant l'immensité de ce palais, symbolisant l'amour éternel d'un homme pour une femme qui succomba lors de la naissance de leur 14e enfant. Des singes sont arrivés. Il y en avait des dizaines. Je les ai suivi, avant de les voir disparaître comme par magie, au détour d'un petit chemin, derrière l'une des deux mosquées. 5 mosquées et 3 palais plus tard, on a reprit le train, vers Jaiupr. 5h30 de voyage à 20km/h. Il est tard.

A demain.

24 décembre

Je ne sais pas vraiment où je suis. Sûrement à quelques heures de Jaipur. Je commence à comprendre certaines choses. Je crois avoir enfin trouvé la source de ma peur à l'idée de venir ici, et du malaise que j'avais parfois jusque là. J'avais peur et honte à la fois. Peur d'ouvrir les yeux, de comprendre, de prendre conscience de mon inconscience. Même s'il nous arrive de penser tout savoir, je vois aujourd'hui que la vérité est ailleurs. On en apprend moins dans les livres qu'en 3 jours ici. La vérité n'est pas dans les livres. Elle est sous nos yeux, dans leurs yeux. Leurs yeux qui ont tout vu mais qui ne savent rien, sinon tout ce que j'ignore.

8 janvier

En Inde, on est dimanche. Nous avons visité plus de 15 villes, sommes passé à travers des champs, des déserts, tout change tout le temps. Il est 1h03, et 4h30 de moins en france. Je suis dans l'avion qui me ramène, malgré moi, à Paris. Ce voyage était incroyable. Mes réticences du début se sont évanouies en quelques heures. J'ai vu ce que je n'imaginais pas, ou ce que j'imaginais sans pouvoir me le représenter. Etrangement, j'ai désormais l'impression d'avoir quelque chose à accomplir, d'avoir un rôle. Le peu d'aide que nous avons apporté, dans les écoles, dans quelques villages, me donne l'impression que mon existence n'est pas sans but.

J'ai pris conscience de ma chance et de la superficialité des nos problèmes. Mes problèmes ne sont rien. Les gens que j'ai croisé, parfois, vivent dans un équilibre tangible entre la vie et la mort. L'un semble les aspirer irrémédiablement tandis qu'ils s'accrochent à l'autre. Mais ils gardent dans leur yeux cette joie de vivre, cette gentillesse, cette quiétude, cette bienveillance. Plus que jamais j'ai envie de les aider. Je suis persuadé que je vais revenir, tôt ou tard, avec, je l'espère, un échappatoire à leur proposer.

Je n'y suis jamais retourné. Mon dernier voyage était à Los Angeles. J'ai l'impression d'être rentré dans les rangs, d'avoir plongé dans un système que je rejetais jusque là, avec mes envies de sauver le monde. Mais ca ne durera pas éternellement. Allez là bas si ce n'est pas déjà fait, allez jeter un oeil, vous n'en reviendrez pas. Ce pays m'a changé, j'espère être en mesure de le lui rendre un jour.























3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je trouve que ce que tu as écris est magnifique.Peut être parce que c'est la première fois que tu publies quelque chose qui n'était pas destiné à être lu .
Je te croise souvent , et je pense ne plus jamais te regarder de la même façon.
bonne continuation.
A.

Kenza a dit…

Mon Tom,
je savais que tu avais un talent d'écrivain mais ces photos sont de toi ? Car elles sont sublimes.
xx

Paranoid Polaroids a dit…

tom???

Absolutly
thank you dear :)